En novembre 2003, j’ai eu la chance de faire la traversée de l’Atlantique à la voile en participant à la « Transat des ALizés », expérience magique et exceptionnelle que l’on ne peut pas refuser de vivre surtout si vous êtes sollicité sans que vous vous y attendiez.
Natif des Alpes, je ne suis pas marin et je n’étais surtout pas prédisposé à vivre une telle aventure, mais voilà, j’ai un beau frère passionné de voile qui aux cours des années a acquis des bateaux de plus en plus conséquents et de plus en plus hauturiers. Du premier qui était un « Corsaire » de 5,5m nommé « Farfadet I » naviguant sur les eaux du lac de Serre-Ponçon dans les Hautes Alpes à l' »Océanis 411″ de 12,7m et 6ième du nom.
Je n’ai pas le pied très marin, mais je suis curieux de toutes les expériences. J’ai donc navigué de temps en temps avec lui en méditerranée essentiellement en côtier avec quelques croisières plus conséquentes vers la Corse ou l’Ile d’Elbe. Jamais je ne l’avais entendu me parler ou même évoquer des voyages au long court, soit il a caché son jeu, soit une prise de conscience: on vieilli tous, il est plus âgé que moi, et il ne fallait plus trop qu’il attende s’il voulait vivre le rêve de tout marin.
Ceci dit, un soir d’automne 2002, seul à la maison, je reçois un coup de fil de Pierre (mon Beau-Frère),
-« Henri je rentre du salon nautique de Paris, j’ai inscrit ‘Farfadet’ à la ‘Transat des Alizés’ pour novembre 2003, est-ce que cela t’intéresse, il faudrait que tu me donnes une réponse très rapidement car je vais susciter beaucoup d’intérêt auprès de mes collègues, Jean Benoit (son fils) est déjà partant, il me reste 3 équipiers à trouver« ,
-« Euh!.. » fais-je, Monique n’est pas là, je réfléchis à toute vitesse, une expérience comme celle-ci ne se représentera pas, Monique sera très compréhensive et enchantée pour moi.
-« Ok, Pierre, je suis partant…« . Voilà comment en moins de 3mn, je me suis embarqué dans cette fabuleuse aventure.
La « Transat des Alizées » est une course à la voile réservée aux amateurs, mais certains propriétaires de voiliers désirant tenter l’aventure s’adjoignent les services d’un skipper professionnel. Pour l’équipage du « Farfadet VI », rien de tout cela, mon beau frère Pierre, certes est un très bon marin, son fils Jean-Benoit également, les deux autres équipiers choisit, Jean-Pierre et Alain, sont beaucoup plus aguerri que moi, mais aucun d’entres eux a une expérience de la course au large, moi je suis une charge. L’entente et le vivre ensemble ont été privilégiés, et le ton est tout de suite donné par Pierre,
-« Cette participation nous permet surtout de trouver un cadre pour vivre une transatlantique, l’aspect course ne doit pas être l’enjeux primordial« .
Merci Pierre d’avoir pensé à moi.
Cette course est constituée de deux étapes. Une première avec deux départs possibles, Brest pour l’Atlantique, Port Camargue pour la méditerranée, la concentration s’effectuant à Portimao au sud du Portugal. La deuxième étape doit nous conduire de Portimao a Gustavia aux Antilles Françaises (Ile Saint Barthélemy). Seul le skipper doit participer aux deux étapes, cela tombe bien, nous sommes trois a avoir des obligations professionnelles ne nous permettant pas de participer au parcours de concentration. J’occulterai donc la première étape qui a été très mouvementée (il n’est pas toujours facile de naviguer en Méditerranée au mois de novembre).
Le 8 novembre, nous arrivons à Portimao (sud Portugal) en voiture pour relever l’équipage de la première étape, seul Pierre, notre skipper fera les deux étapes comme le stipule le règlement. Deux jours de repos et d’ultimes préparatifs sont prévus avant le grand départ.
Les bateaux ne sont pas encore tous arrivés et malheureusement un équipage venant de Brest n’arrivera jamais, une énorme tempête dans le golf de Gascogne sera fatale à un concurrent qui en essayant de s’abriter dans une crique de la côte espagnole se fracassera sur les rochers avec des conséquences tragiques. Le départ de la course sera même donné sous pavillon noir le 10 novembre en début d’après midi.
Dix sept concurrents franchiront la ligne de départ au son de la corne de brune, je ne me souviens même plus s’il y avait des catégories, par contre les types de bateaux étaient très variés, catamarans, monocoque et même grand dériveur habitable taillé pour la course et très spartiate (chapeau bas pour ces trois Italiens qui m’ont beaucoup impressionné).
Notre bateau est très habitable et confortable. Pierre le skipper partagera le carré avant avec son fils Jean-Benoit, Alain et Jean-Pierre , beaux frères dans la vie occuperont la couchette double bâbord, moi la couchette double tribord (grand confort pour moi tout seul). Farfadet peut accueillir 6 personnes dans un grand confort en laissant le carré central dédié à la détente et aux repas.
Les épouses de Pierre et de Jean-Benoit s’étaient occupées de l’intendance. Elles avaient préparé et conditionné les repas au jour le jour, qui ont été rangés suivant un ordre adéquat dans les coffres. Jean-Pierre aime faire la cuisine, il s’attribut la lourde charge de cuisinier pour la plus grande satisfaction du reste de l’équipage. Il avait préparé et emmené tous les ingrédients et condiments complémentaires afin d’élever encore d’un cran les repas programmés. La nourriture à bord et la bonne bouffe sont d’une importance capitale. Merci à lui de nous avoir régalés dans des conditions qui n’étaient pas toujours très faciles. Nous avions fait conditionner sous vide une grande variété de fromages préparés par la fromagerie des Alpes à Grenoble. Pour le pain, Alain avait demandé à son boulanger de Domène de préparer d’énormes couronnes avec une double cuissons permettant d’augmenter l’épaisseur de la croûte et garantir ainsi conservation et fraîcheur optimales.
Les bateaux sont équipés d’une balise de détresse qui ne doit être déclenchée qu’en cas de problème. Tous les soirs à heures fixes nous devons appeler le PC course par téléphone satellite pour communiquer notre position exacte.
En fin d’après midi, les concurrents sont toujours groupés, il y a beaucoup de vent et la mer assez forte. Avec l’arrivée de la nuit nous perdrons de vue nos collègues pour ne plus jamais les revoir et la première grosse difficulté se présente, la traversée des rails de Gilbraltar, pas question de quart, la mer a encore forci, le vent aussi. Personne n’a envie de dormir, sanglés dans nos harnais, je ne peux pas dire que je sois très fier, étant le moins aguerri de tous, je subis. Il est très difficile, surtout pour moi, d’évaluer la distance des cargos et porte-containers que nous croisons, je les vois tous immenses, et très nombreux à nous foncer dessus. Pierre à la barre est très attentif,
-« il va passer derrière… il va passer devant… je dévie légèrement ma route… « .
Il est peu probable que ces géants des mers lancés à pleine vitesse puissent beaucoup dévier leur route pour nous éviter. Nous sommes assez loin de Gilbraltar, mais entre les bateaux qui vont remonter vers l’Europe du Nord, ceux qui font route vers les Amériques et ceux qui descendent vers les côtes Africaines, la zone de fort trafic est très large et nous la coupons à 90°, notre cap est plein Sud.
Les conditions de mer ne sont pas bonnes, nous avions préparé des sandwichs en prévision pour les premières 36H. Il aurait été impossible de prendre un repas normal, nous restons tous à l’extérieur pour être le moins malade possible. Jean Benoit notre jeune médecin avait emporté des « Patchs » contre la nausée, très efficaces et sans effets secondaires. Autre problème par gros mauvais temps, uriner n’est pas chose facile. Impossible ou plutôt interdiction d’enlever son harnais, uriner par dessus bord est impensable et serait très aléatoire, les embruns marins d’accord, les autres !!… Chacun a donc sa bouteille plastique (goulot coupé) pour satisfaire ses besoins.
Les heures passent, le jour se lève, le gros du trafic est passé, nous sommes au large des cotes Marocaines, direction les côtes Mauritaniennes que nous longerons aussi très au large. Nous pointons sur les Canaries et plus exactement celle qui est située la plus à l’ouest l’île de La Palma où nous espérons commencer à toucher les Alizés. L’ambiance est moins tendue, soit la mer s’est un peu calmé, soit nous commençons a être plus amariné, probablement les deux. Une fois que nous toucherons les Alizés, il suffira en théorie de se laisser porter vers les Antilles, la houle devrait être plus ample et plus régulière donc beaucoup plus confortable que la mer hachée que nous subissons actuellement..
Les jours vont se suivre sans toutefois se ressembler. Le rythme à bord est bien établi, chacun sait ce qu’il a à faire. Dans la journée, c’est à dire de 8H du matin à 20H le soir il n’y a pas de quart, nous utilisons autant que faire se peu, le pilotage automatique. Par contre entre 20H et 8H du matin, les quart vont se succéder, comme nous sommes cinq, pas besoin de faire de long quart, deux heures suffiront. Pierre le skipper assure celui de 20H à 22H, Jean-Pierre de 22H à 24H, moi (Henri) de 0H à 2H, Alain de 2H à 4h, Jean-Benoit de 4H à 6H et Pierre reprend de 6H à 8H. Pour ma part, j’aime bien mon horaire de quart, je n’ai aucun problème pour dormir, faire un premier somme, me réveiller à minuit et me rendormir après ne me pose aucun problème. Je demande à Jean-Pierre de me réveiller 5mn avant la prise de quart, le temps de passer quelques vêtements, d’attacher son harnais, de recevoir les consignes, à 0H5mn je suis seul à la barre, Jean-Pierre a déjà disparu dans sa bannette. Si la mer est calme, aucun problème, le pilote automatique est bien meilleur que le barreur, si la mer est un peu plus agitée il vaut mieux barrer de façon à bien prendre les vagues pour ne pas faire taper le bateau, d’une part c’est plus confortable pour le sommeil des équipiers et d’autre part pour préserver la vitesse du bateau.
Deux heures de quart c’est court, mais c’est magique, seul sous la voûte céleste avec pour seul bruit le glissement de la coque sur l’eau, j’adorais ces moments. A mon tour, un peu avant 2H je réveille Alain, pas besoin de beaucoup de mots pour assurer la relève, les automatismes viennent vite, mais il arrive aussi que l’on s’attarde un peu, une petite discussion sous les étoiles est très agréable. De toute la traversée les nuits ont été relativement calmes excepté les deux premières après le départ. Au milieu de l’Atlantique, nous aurions même préféré avoir un peu plus de vent. Au départ nous avions convenu de ne pas utiliser le spi pendant les quarts de nuit. La régularité et la faiblesse des alizés ont fait que nous ne l’avons pratiquement jamais quitté, de jour comme de nuit, excepté une journée où pendant quelques heures nous avons essuyé un très fort coup de vent, c’était le dimanche 30, nous avons dû affaler la grande voile et rouler un maximum du génois pour le transformer en tourmentin. Nous étions tous sanglés à l’extérieur, Jean-Benoit le plus jeune a tenu la barre pendant plus de 4 heures. Ce fut notre seule épreuve un peu désagréable.
Nous avons pu pêcher à la traîne et permettre à notre Chef Cuisinier Jean-Pierre d’améliorer l’ordinaire.
Au bout du 6ième jour, (Dimanche 16 novembre) nous croisons au large de Las Palma (Canaries), le 13ième jour, (Dimanche 23), nous franchissons le tropique du Cancer, ce sera l’occasion de boire le Champagne. Le 20ième jour nous avons notre coup de tabac, nous sommes encore à 1000 milles de notre destination.
Cette Transat des Alizés n’était pas pour nous un défi sportif, pas de pression, pas d’enjeux du résultat, seulement une expérience humaine. D’autres équipages avaient des motivations beaucoup plus fortes, de toutes façon il est très difficile de savoir comment l’on se situ les uns par rapport au autres. Les options de route divergent assez vite, les informations sont très succinctes avec le PC course. Pour la météo nous écoutions sur Radio France Internationale le bulletin du large 2 fois par jour et c’est tout, pas de routeur à terre comme dans les grandes courses. Nous téléphonons également à tour de rôle à nos familles pour donner des nouvelles en indiquant notre position, Jérôme mon fils était chargé de rédiger un petit blog sur internet en positionnant sur une carte notre progression ainsi accessible par nos amis.
Au trois quart de la course, nous nous rendons compte que nous sommes très en retard sur notre planning. Au milieu de l’Atlantique les Alizées nous ont un peu lâché. Certains jours c’était, en terme de marin ‘La Pétole’, on s’est traîné lamentablement. L’arrivée doit se faire à Gustavia dans l’île de St Bartélémy, il faudrait ensuite revenir sur la Martinique avec le voilier pour prendre l’avion (le bateau doit rester un an en Martinique). On ne peut pas décaler nos billets de retour pour des impératifs familiaux ou professionnels. Nous sommes donc obligé de déclarer forfait et de prendre la route la plus directe sur la Martinique, car quelques épouses et enfants étaient venues nous attendre pour notre arrivées.
Cette sage décision nous a permis une fois à la Martinique, de profiter de quelques jours de vacances avant notre retour en Métropole.
25 jours et 22 heures après le départ de Portimao nous accostons à 6H du matin au ponton du Marin à la Martinique.
Pour ceux qui aiment le détail, voici notre tableau de marche par tranche de 24 heures
- Lundi 10 novembre 155 milles
- Mardi 11 novembre 161 milles
- Mercredi 12 novembre 109 milles
- Jeudi 13 novembre 140 milles
- Vendredi 14 novembre 117 milles
- Samedi 15 novembre 113 milles
- Dimanche 16 novembre 161 milles
- Lundi 17 novembre 150 miles
- Mardi 18 novembre 136 milles
- Mercredi 19 novembre 94 milles
- Jeudi 20 novembre 120 milles
- Vendredi 21 novembre 115 milles
- Samedi 22 novembre 130 milles
- Dimanche 23 novembre 130 milles
- Lundi 24 novembre 146 milles
- Mardi 25 novembre 151 milles
- Mercredi 26 novembre 157 milles
- Jeudi 27 novembre 105 milles
- Vendredi 28 novembre 122 milles
- Samedi 29 novembre 122 milles
- Dimanche 30 novembre 128 milles
- Lundi 1er décembre 127 milles
- Mardi 2 décembre 107 milles
- Mercredi 3 décembre 100 milles
- Jeudi 4 décembre 128 milles
- Vendredi 5 décembre 120 milles
Soit 3 344 milles équivalent à 6 193 kilomètres pour 25 jours et 22 heures de navigation..
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