J’aurai pu ne pas insérer un tel article dans ce blog, mais il y aurait eu un vide si j’avais omis de parler de ce type de balades, elles revêtent pour moi une place importante. Sous ce vocable de ″balades à la verticale″ je range ma passion pour l’escalade. C’est un sport qui est resté assez confidentiel très longtemps, uniquement pratiqué par quelques casse-cous essentiellement dans les Alpes. Je ne fais pas partie de cette catégorie et mon engagement dans cette discipline ne s’est pas fait facilement bien que quelques vieilles photos attestent de mon goût pour le contact avec le rocher.
L’escalade s’est développée de manière spectaculaire ces dernières années grâce au progrès du matériel et par la médiatisation de certains sportifs d’exception. Etant jeune, j’ai beaucoup rêvé sur les récits de Frison Roche, Lionel Terray, Gaston Rebuffat, mais c’est réellement au service militaire que je découvre vraiment l’escalade.
Déjà un peu dégrossi en ski/alpinisme, je suis incorporé dans les chasseurs alpins à Grenoble, et après quelques semaines de classe j’intègre les éclaireurs skieurs. Cette section était privilégiée, vitrine du Bataillon la pratique des sports alpins tenait une place très importante. Je retrouve dans ce milieu beaucoup de jeunes qui travaillaient déjà dans le milieu de la montagne, moniteurs, pisteurs, ou qui aspiraient embrasser une carrière liée à la montagne, guide, secouriste.. Pour ma part je possédais déjà une bonne technique en ski (j’avais fait un peu de compétition dans un club Universitaire et j’enseignais à l’ESF d’Orcière Merlette pendant mes congés d’étudiant), j’avais également quelques rudiments d’alpinisme. L’émulation était très grande et j’ai passé un service militaire des plus enrichissant au moins de ce point de vue.
Libéré de mes obligations militaires, j’ai poursuivi l’escalade avec mes collègues, nous étions dans les années 70, le matériel n’était pas ce qu’il est maintenant, nous grimpions en « Grosses » (dénomination des chaussures de montagne) et la progression se faisait principalement le long des « faiblesses » du rocher avec des pitons, des coinceurs, des sangles et des cordes d’assurance peu performantes. La sécurité n’était pas l’obsession de nos dangereuses escapades, mais nous étions des passionnés. Le niveau n’était pas bien haut, mais les grandes peurs bien présentes. Charge de famille aidant j’ai rapidement trouvé que le risque était trop élevé pour avoir une vie de famille sereine. J’ai donc tourné le dos à cette pratique qui s’est développée et modernisée sans que je m’en aperçoive. Je l’ai redécouverte par hasard bien des années plus tard. J’avais abandonné l’escalade mais je continuais à pratiquer assidûment le ski alpinisme. J’avais un collègue qui n’était pas très à l’aise quand il fallait mettre un peu les mains pour atteindre les derniers mètres rocheux d’un sommet d’une randonnée à ski. L’initiation à l’escalade moderne ne pouvait que nous donner un peu plus d’assurance. Nous avons donc décidé d’investir la discipline, voilà, c’était mon retour à cette pratique.
L’escalade moderne s’était développée de façon prodigieuse, et est devenue pratiquement sans risque, exit les pitons remplacés par des scellements fixes, exit les grosses chaussures remplacées par des chaussons hyper adhérents, les cordes modernes dites dynamiques absorbent les chocs en cas de chutes et rendent celles-ci acceptables. Plus la voie est difficile, donc en principe redressée, moins la chute est dangereuse. Avec un tel matériel, le niveau des grimpeurs a explosé.
J’ai une préférence pour les grandes voies (plusieurs longueurs), la cordée est un attelage magique, être obligé de faire confiance à son compagnon relié par le même lien est un sentiment très fort. Quand on assure son collègue, la corde est très bavarde, ses mouvements renseignent sur la progression de son compagnon de cordée, son engagement, ses hésitations, ses difficultés qu’il soit en tête ou en second. Nul besoin de parole superflue ou même de le voir, tout se transmet par ce lien ombilical. Le mouvement juste, l’optimisation du positionnement, de l’appui, la gestion de l’effort demandent une bonne concentration et un bon mental, facteurs beaucoup plus importants que la pure force physique. L’explosion de joie une fois la course terminée est un pur moment de bonheur, évoluer à l’interface du vide et du plein procure une plénitude exceptionnelle. Les voies que j’ai parcourues sont dans leurs grandes majorités équipées à demeure (spits ) et de difficultés raisonnables.
Un peu plus haut dans le texte, je parle de voies tombées en désuétude, force est de constater que les voies au cœur des massifs (Oisans en particulier) qui demandent une longue marche d’approche n’ont plus la côte. Les jeunes préfèrent des voies plus dures très bien équipées mais d’accès facile. Dans la région grenobloise, nous sommes chanceux pour qui aime ces activités, aux portes de la ville les possibilités sont immenses, il y en a pour toutes les aspirations, du débutant au grimpeur confirmé.
Ci-dessous, dans la grande paroi de la Tour de l’Homme (massif de Belledonne) au dessus de la Romanche que l’on atteint facilement depuis le plateau de l’Arselle (bien connu des skieurs de fond). Je grimpe en réversible avec Véro, une amie avec qui j’ai fait énormément de voies. Sensiblement du même niveau, nous sommes très complémentaire, elle est plus à l’aise que moi dans des dalles bien lisses (souplesse oblige), je le suis plus dans les parties un peu plus physique. A la Tour de l’Homme, tous les aspects sont présents.
Une particularité de cette face, le rocher noir s’échauffe rapidement au soleil, il faut l’engager le plus tôt possible le matin sinon la chaleur devient vite insoutenable en plein été. Un seul sac à dos, avec de l’eau et quelques barres de céréales, que transporte le second.
Ci-dessous, toujours avec Véro en 2005 à la Tour Termier, paroi du Grand Galibier dans le massif des Cerces. On atteint cette face depuis un des lacets du col du Galibier coté Guisane en remontant un large vallon que l’on distingue très bien avec son cirque depuis le sommet du col du Lautaret. La voie sort à plus de 3000m à droite du sommet principal.
Une fois atteint le sommet des voies il faut redescendre, si un sentier ou une sente existe le retour se fait à pieds, si c’est plus problématique la descente en rappel s’impose. Toutes ces informations sont en général très bien indiquées dans les topos. L’équipeur en général fait très bien les choses, si c’est un retour par rappels, soit ils sont dans la voie et les relais existants sont équipés de maillons spécifiques pour passer la corde de rappel, soit ils ont été placés carrément hors voies ce qui a l’avantage de ne pas gêner d’éventuelles cordées engagées dans la ligne, mais dans ces cas la plus grande prudence est requise car en cas de problème la situation peut devenir très délicate.
Ici un très beau final en fil d’araignée au piler de l’Ascle dans les Alpes du sud à Orpierre. Les relais sont placés hors voie et je pense qu’ici c’est le coté ludique qui a été privilégié. La municipalité d’Orpierre s’est beaucoup investie dans l’équipement de ses falaises. Le spot est très réputé et des grimpeurs de toute l’Europe se côtoient pratiquement toute l’année. Le village s’est énormément développé grâce a cette activité et c’est une réussite.
En général en grande voie nous grimpons avec une corde de rappel en double, c’est à dire que les deux brins du rappel relient les deux grimpeurs assurant une sécurité optimale en cas de coupure accidentelle d’une des cordes. Nous pouvons aussi grimper à trois, c’est le cas sur la photo ci-dessus, cette façon s’appelle grimper « en flèche » , le leader est en tête encordé en milieu de corde, les deux seconds sont chacun sur un brin et grimpent à leur rythme l’un derrière l’autre, le leader « vaché » au relais gère le ravalement des deux brins en fonction de la progression de ses deux collègues. C’est le dernier qui récupère les dégaines de progression posées par le leader, le grimpeur du milieu ne faisant que dégrafer son brin de corde au passage des points d’assurage. Les cordes de rappel faisant en général 100m, la distance entre deux relais devra toujours être inférieure à 50m tout comme les relais des rappels hors voies
Ci-dessus en 2010 dans la paroi des Gonsons dans le Vercors avec mon ami Michel. Sur la photo de gauche, je viens de placer ma dégaine et clipser ma double corde d’assurance au spit situé au dessus de moi, et je scrute la suite de l’itinéraire. Je porte une coudière, comme beaucoup de grimpeur imprudent je souffre d’une tendinite chronique au coude. A mon âge difficile de la soigner, il faudrait que je m’arrête plus de 6 mois, mais en ‘stupid boys’ je ne suis pas raisonnable. Sur la photo de droite, belle attitude de Michel, en adhérence sur ses chaussons, sur le point de me rejoindre au relais…
Ci dessous, en septembre 2009, au programme de cette belle journée l’arête Nord Est de la Pierra Menta dans le Beaufortin.
Un raccourci, de la journée en quelques images:
=>Approche de l’arête depuis le refuge de la Balme.
=>Préparation au pied de la voie et les premiers mètres.
=>Véro au sommet de l’étroite arête photographie les troupeaux de vaches broutant en contre bas dans les alpages, le Beaufort d’été sera bon. Au fond le Mont Blanc.
=> Descente en rappel.
=>Au pied de la voie, un culot de neige nous permet de refroidir nos arpions échauffés par tant d’efforts. Une bien belle journée…
Ci-dessous Véro à la Pointe Percé dans le massif des Aravis.
A gauche Véro en tête au sommet d’une pointe, à droite les derniers mètres de la course, un piolet dépasse du sac, car pour le retour, la descente d’un névé demandera de la prudence.
J’aime bien la photo ci-dessous car elle illustre la performance des chaussons d’escalade. Mes pieds sont posés sur de minuscules reliefs du rocher, la main droite tient ce que l’on appelle dans notre jargon une petite réglette et la main gauche est seulement en appui sur le rocher pour conforter la stabilité. Ce genre de position qui peut paraître impressionnante et en fait très stable, il suffit d’avoir confiance à ses appuis de pieds ce qui est le plus difficile quand on débute en escalade.
En août 2013 dans le Vercors au Gerbier versant Villard-de-Lans, avec Murielle
On attaque les premières longueurs d’ ‘Allez les boeufs’ avec un temps clair. Les dernières longueurs pour sortir sur l’arête du Gerbier se déroulent dans le brouillard, belle ambiance! Il nous faudra terminer la traversée des arêtes pour trouver le rappel du ‘Grand couloir’ et atteindre la terre ferme au niveau du ‘Pas de l’Oeil’. Cette voie avait été ouverte quelques semaines auparavant par mon ami Hervé, Président du club de L’ECI (Escalade Club de l’Isère qui est un club dont l’activité principale est l’équipement de voies d’escalade).
Maintenant, quelques mots de mon autre passion pour l’équipement de voies.
Comme je suis curieux et attiré par les expériences nouvelles, j’ai donc naturellement eu envie de toucher à cette pratique, j’ai ainsi complété ma passion par le volet équipement en ouvrant des voies dites modernes. C’est aussi un beau challenge, et une belle balade à la verticale. On se trouve face à la paroi devant une page blanche, où passer, trouver le cheminement le plus astucieux, poser les points d’encrage au bon endroit, sectionner les longueurs en plaçant des relais les plus confortables possible, faut-il attaquer du bas, peut on équiper du haut, autant de problèmes à résoudre. Avoir la satisfaction d’un travail bien fait ou parfois la déception d’une réalisation imparfaite, avoir des retours bons ou critiques est très enrichissant.
A tout seigneur tout honneur une reconnaissance affectueuse à Grégory, mon cadet de 30 ans qui m’a tout appris de cette belle discipline. Alpiniste confirmé, très attachant, une force de la nature, B.E. d’escalade il exerce sa passion et son métier au sein du secours en montagne de l’Isère. Je ne le remercierai jamais assez.
Ici au pied de la voie ‘Querelles de Clocher’ que nous avons équipé aux Rochers de l’église en Chartreuse versant Isère juste au dessus de chez moi. L’équipeur doit emporter un matériel conséquent, cordes fixes et dynamiques, pédales, pitons, coinceurs, friends, plaquettes, marteau, perforateur.
Sur la photo de droite (ci-dessus), Gregory est en train de percer un trou dans lequel viendra s’insérer le goujon de la plaquette qui servira de point d’assurance. Sur la droite de son baudrier on distingue un large ‘Friend’, c’est un excentrique qui inséré dans une fissure réalise un point d’assurance temporaire. Ils en existent de différentes tailles.
Je vous salue bien dans ma lente progression d’équipeur. Sur la photo de droite, une corde fixe a déjà été installée et je remonte au jumar du matériel. En contre bas on distingue l’Isère et la banlieue de Grenoble route de Lyon.
Je pratique l’équipement au sein du club ECI évoqué plus haut. Outre Grégory, mes compagnons d’équipement sont Alain, Thierry et Bernard que je remercie aussi vivement car ils m’ont beaucoup apporté en me faisant partager leurs expériences.
Pourquoi pas une petite galerie de mes partenaires d’escalade, un grand merci à tous.
Et pour terminer, un peu de nostalgie. Dans les années 80/90, j’étais en pleine possession de mes moyens et j’ai eu le plaisir de faire de grandes courses en hautes montagnes en affrontant neige et glace. Je n’ai pas beaucoup de photos de cette période mais j’ai quand même pu retrouver quelques vielles diapos un peu jaunis qui me rappellent des souvenirs inoubliables et me procurent beaucoup de nostalgie (et oui, on devient inexorablement »Has been »!).
J’ai beaucoup parcouru les Ecrins mais aussi fait quelques incursions dans le massif du Mont Blanc.
Face à ces monstres de glace, il faut rester très humble car le danger reste très sournois et imprévisible, nous avions conscience de notre petitesse et de notre fragilité
J’ai aussi pratiqué un peu plus tard la cascade de glace, mais je n’ai jamais bien accroché dans cette discipline que je maîtrisais très mal et très vite abandonnée.
In fine, d’inoubliables souvenirs et une belle tranche de vie…
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Merci
Trés belle présentation d’une discipline que j’ai cotoyé aussi très jeune, à l’époque comme tu le dis si bien, sans matériel sérieux, mais avec cette envie de se surpasser, de maitriser le vide, et se sentir là ou peu de gens passe, en toute liberté. Magnifique article, belles images qui donnent envie, et surtout ce sentiment de passion partagée par une bande d’amis, la montagne crée des liens indéfectibles, forts et chaleureux, un mode de vie.